La mode des Hackathons COVID

Cet article est une critique au sens suivant: un recueil d’avis et d’appréciations sur un sujet. Il ne dénigre aucune initiative. Il pose un constat et invite à une réflexion. Bonne lecture.

Plusieurs personnes m’ont interpellé sur les réseaux en commentaire de posts de hackathons “spécial COVID-19” pendant le confinement. Et en faisant des recherches, je suis tombé sur beaucoup – vraiment beaucoup – d’initiatives.

En tapant « Hack COVID 19 » sur Google, on trouve en effet des dizaines d’événements partout dans le monde – un hackathon au Brésil, en Azerbaïdjan, au Qatar, en Espagne, ou encore en France avec une initiative propulsée par HEC Paris, Polytechnique et Sciences Po. Ça, c’est pour les mots clefs Google, la bibliothèque des tendances.

Mais il y a aussi, toujours autour du COVID-19, des initiatives plus globales comme le BuildForCOVID19 – organisé par l’OMS en partenariat avec de grandes entreprises, les Startup Weekend Global COVID-19 de Techstars organisés dans près de 60 pays, le Hack the Crisis qui est un mouvement né en Estonie et qui a regroupé 30 pays ou encore le EUvsVirus organisé par la Commission Européenne. Ça, c’est pour l’impact international.

D’autres initiatives prennent des noms différents comme le VersusVirus et le CodeVsCovid19 en Suisse, le Hack la crise en France, le Code Against Covid-19 au Sénégal, le WeVsVirus en Allemagne ou encore le CodeTheCurve organisé par l’UNESCO en partenariat avec IBM et SAP. Ça, c’est pour le branding différentiant.

Et puis d’autres, beaucoup d’autres, encore.

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 Premier constat : l’accumulation des événements sur un seul et même sujet en si peu de temps et ce, à une échelle mondiale.

Chaque événement suit un cheminement très classique : le thème de la pandémie, une méthode 100% en ligne grâce à des outils adaptés, beaucoup de mentors, des partenaires, de bonnes intentions de solidarité, des sous-thématiques pour guider les participants (santé, divertissement, alimentation, éducation, etc) et enfin un message d’espoir contre la lutte face à la pandémie et le fait de changer le monde.

Second constat : les initiatives sont très normées et reprennent des règles du jeu et un discours, à quelques détails près, communs. Après tout, les hackathons ont leurs règles et ici, tout est transformé en expérience virtuelle.

C’est mon métier de concevoir des événements d’intelligence collective alors je me pose une question. Dois-je aussi me lancer ou m’impliquer dans une initiative similaire ? J’avoue avoir eu peur de manquer quelque chose si je n’y allais pas. J’ai beaucoup réfléchi et je me suis dit non.

Pourquoi ?

1.      Le sujet / la thématique

Qui dit hackathon, dit thème, cad, la problématique commune qui guidera les participants.

Tous les événements, de manière quasi unanime, ont propulsé le Corona Virus en thématique principale. À tel point qu’on a l’impression que “COVID-19” est devenue une marque, un buzz, avec des codes marketing communs comme dans les noms : Covid19 / VS / Virus / Code for. Je reviendrai sur ce point plus bas.

La majorité de ces initiatives ont une vision commune : « on va trouver des solutions ensemble au COVID-19 et aux conséquences du confinement et ainsi changer le monde ». Au premier abord, c’est une excellente manière de penser mais en réfléchissant, c’est, à mon avis, prétentieux et pas très réaliste de se positionner comme baguette magique face à un virus dont on n’a pas fini d’apprendre. Du côté conséquences du confinement, c’est déjà plus intéressant mais là encore, c’est un domaine extrêmement flou et en perpétuel mouvement. Certaines actions mises en place hier sont déjà obsolètes. Et puis, le confinement n’est sensé qu’être une période passagère, suivie d’un dé-confinement puis d’un retour progressif à la normale. Cette thématique (COVID-19 / Confinement) impose donc un contexte flou et instable à tous les projets.

Sans parler du fait que la plupart des événements sont découpés en sous-catégories certes intéressantes comme la santé, l’éducation, ou l’environnement mais pouvant être, à elles seules, des thématiques principales. On a en effet fréquemment des événements sur l’ESS, l’alimentation, l’éducation ou encore l’environnement. La conséquence, c’est qu’on retrouve certains projets qui sortent de la thématique COVID-19, qui pourraient être développés en dehors du confinement et qui se retrouvent presque « pénalisés » dans ces concours – même si ici, certains ont essayé de ménager des critères. Mais alors, qu’est ce qui est le plus pertinent ? Trouver des solutions rapides et à court-terme sur des problèmes qui devraient être passagers ou s’interroger sur la vie d’après et entrevoir le long-terme ?

En résumé, arborer une thématique centrale aussi restrictive renvoyant à un contexte flou, instable et récent ainsi que déployer (paradoxalement) des axes de réflexions extrêmement larges, est un premier grand risque vers une potentielle incohérence.

Avis très personnel – Je n’ai pas parlé de la partie ‘’changer le monde’’ mais j’ai arrêté de dire cette phrase dans les événements dans lesquels je suis impliqué il y a très longtemps. Je crois dans la puissance des hackathons, sincèrement, mais les hackathons ne changent pas le monde. Ils changent des personnes, des structures, des projets. Changer le monde, c’est encore un cran au-dessus…

2.      Une organisation dans l’urgence

Toutes ces initiatives ont été organisées en très peu de temps. Certains organisateurs, et c’est très impressionnant, ont planché sans repos pendant 3/4 semaines pour sortir un Hackathon en ligne. C’est d’ailleurs bien pour cela que tous ces événements ont eu lieu en avril. J’ai eu l’impression même d’assister par moment à une course. Qui lancerait l’événement en premier ? Qui rassemblera le plus de monde ? Comme une sorte de concurrence pour montrer qu’on agit, qu’on se bouge, qu’on est solidaire… Pourquoi y avait-il urgence ?

·      La situation actuelle est une urgence. Il faut régler des problèmes au jour le jour et aller vite face à la pandémie. C’est la réponse la plus simple, une évidence.

·      Le confinement ne va durer qu’un temps et ces événements auraient eu moins d’impact et auraient eu l’air moins inédits hors confinement. Ici, nous avons des événements spécialement taillés pour un contexte donné, celui du confinement. Il fallait donc aller vite pour se positionner. 3/4 semaines, c’est extrêmement court, même pour des événements en ligne. J’opte généralement pour des processus d’organisation de minium 3 mois pour avoir le temps de faire mûrir toutes les pistes. Certaines réflexions, notamment au niveau de la thématique et des sous-thèmes, auraient pu être étoffées et approfondies pour certains événements. Et d’autres auraient pu prendre davantage de risque en exploitant des pistes sur les enseignements de la crise et le fameux “monde d’après”. À nouveau, c’est un avis.

3.      L’opportunisme et le buzz

Et puis, comme je l’ai dit tout à l’heure, je ne peux pas m’empêcher de penser à une certaine course à celui qui sortirait l’événement le plus dingue, le plus gros, le plus suivi, le plus international. La plupart des événements arborent d’ailleurs fièrement leurs chiffres. Certains ont en effet réunis plusieurs centaines voir milliers de participants sur plusieurs continents (malgré une part non négligeable d’abandons dans certains cas à cause de la gratuité et de la facilité de partir). J’avoue moi-même être un grand adepte de la mise en avant d’une réussite événementielle par les chiffres mais dans ce contexte, n’est-ce pas d’une certaine maladresse frôlant l’opportunisme ? On parle majoritairement de grandes marques, institutions et même gouvernements placés comme partenaires et organisateurs ; pas de petits entrepreneurs (sauf pour quelques rares exceptions).

J’ai du mal à surfer sur les vagues de buzz. J’ai déjà eu des questionnements rien qu’à avoir lancé un challenge de création cinématographique pendant le confinement. Mais voir de grosses marques, entreprises, institutions prendre autant la lumière me questionne.

J’organise des hackathons en entreprises et j’ai toujours essayé d’éviter les événements 100% coup de comm’ pour privilégier des actions qui avaient du sens pour mes clients. Bien sûr, derrière chaque événement, il y a de la communication et c’est même le business model de certains organisateurs mais dans ce contexte, une certaine réflexion éthique aurait dû suivre le phénomène de mode. En comparaison, on ne dénombre qu’un seul hackathon sur le VIH – qui a fait 20 à 35 millions de morts depuis 1981 – en France et ce dernier à eu lieu… en novembre 2019 à Tours – le VIHack

 Optimisme et invitation à la réflexion pour conclure :

Ce qui a été bien réussi partout, c’est une l’adaptation des événements à la version 100% en ligne. Beaucoup d’outils comme ZOOM ou Slack ont été utilisés pour mener à bien les opérations. Agorize, le spécialiste des hackathon en ligne – a soutenu par exemple le Hack The Crisis. Certains événements, quant à eux, comme le Startup Weekend Covid-19 demandaient aux participants une vidéo + un pitch en ligne.

Utiliser ces expériences comme des tests pour des actions qui seront répétées et améliorées dans le futur sur d’autres sujets peut être extrêmement intéressant. Mais en sera-t-il ainsi ? Ferons-nous des événements en ligne, comme le font déjà certaines structures, sans l’excuse du COIVD-19 / Confinement ?

Commencer à travailler sur un événement classique OU en ligne sur un sujet qui appelle à la réflexion sur la crise sanitaire et aux enseignements à en tirer seraient, à mon sens, plus significatif pour « changer le monde et avoir un réel impact » plutôt qu’un événement parmi d’autres qui fait office de réaction face à un contexte trouble et instable. Si cette nuance intéresse d’ailleurs d’autres personnes, je suis ouvert à creuser le sujet…

Et je pense que c’est justement sur ce point – réflexion vs réaction – que tout l’enjeu de la crise sanitaire se pose. On applaudit les soignants français au balcon en réaction au COVID-19, OK, mais pourquoi ne le faisions-nous pas avant alors que les soignants sauvaient déjà quotidiennement des vies ? C’est en creusant ce sujet (parmi d’autres), qu’on trouvera, selon moi, des réponses intéressantes.

À nouveau, j’insiste, je respecte le travail des organisateurs et je ne dis surtout pas qu’ils ont mal fait. Je questionne juste une (ré)action précipitée qui s’est emballée jusqu’à devenir un phénomène de mode événementiel et qui, selon moi, a oublié d’intégrer davantage une réflexion capitale : que retiendrons-nous de cette crise sanitaire ?

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